02 juillet 2024 ~ 0 Commentaire

les communautés politiques « extrêmes » selon Camus

* Quand il s’agissait de critiquer le communisme, Camus n’était pas le dernier : c’est justement ce qui l’opposa longtemps à Sartre. Comme Arendt, Camus considérait qu’il y avait de chaque côté de l’échiquier politique deux tentations extrêmes à éviter, car toutes deux susceptibles d’engendrer des totalitarismes : le communisme et le fascisme.

Le totalitarisme est, dans tous les cas, comme un envers de la démocratie qui cède à l’illusion de l’Un et du Même car incapable d’assumer la contingence historique et la division sociale : à la totalité du peuple, on substitue la totalité close d’une idéologie (politique ou religieuse). En fait, croire que l’histoire est totalement irrationnelle ou croire qu’elle est totalement rationnelle conduit au même nihilisme car cela revient à justifier n’importe quoi, à tout soumettre soit à la folie soit à la raison absolue :
« Ceux qui se ruent dans l’histoire au nom de l’irrationnel, criant qu’elle n’a aucun sens, rencontrent la servitude et la terreur et débouchent dans l’univers concentrationnaire. Ceux qui s’y lancent en prêchant sa rationalité absolue, rencontrent servitude et terreur, et débouchent dans l’univers concentrationnaire.». Cela revient à chaque fois à mutiler l’homme d’une partie de lui-même, puisqu’il est à la fois rationnel et irrationnel.

* Autre paradoxe souligné par Camus : la révolte est plus créatrice que la révolution, reposant sur une idéologie destructrice. En effet, la révolution peut contredire la révolte : si on est vraiment révolté, on finira par se dresser contre la révolution. Donc on ne progresse pas vraiment d’une attitude à l’autre car la révolution fige les choses et les idées dans une idéologie systématique, ce qui risque d’empêcher la révolte. Inversement, le propre de la révolte est de refuser d’être traité et réduit à une chose déterminée par l’histoire, elle ne repose sur aucune arrière-pensée historique ; alors que le désir de révolution ne peut qu’être absolu, réduisant l’homme à une force historique pour réaliser cette idée que l’on se fait de l’homme nouveau.
Hannah Arendt nous avait déjà prévenus que « l’engagement peut mener à un point où il n’est plus possible de penser » ; il y a donc toujours le risque, au sein d’une volonté de révolution devenue systématique, de ne plus douter et de contredire l’intention originelle de jugement critique. La révolution présuppose la théorie et l’institution : elle s’appuie sur une doctrine et veut s’institutionnaliser : dès lors, remarque Camus, « tout révolutionnaire finit en oppresseur ou en hérétique » car la révolution absolue suppose l’absolue plasticité de la nature humaine, et c’est alors à la nature humaine et à chaque individu qui l’incarne de se plier à une idéologie, hors de toute considération morale : « c’est pourquoi elle [la révolution] se condamne à ne vivre que pour l’histoire et dans la terreur » ; la révolution dépasse toutes les limites et c’est en cela qu’elle assassine la révolte : « l’une est créatrice, l’autre est nihiliste. La première est vouée à créer pour être de plus en plus, la seconde forcée de produire pour nier de mieux en mieux » précise Camus.

* Camus décèle toutefois une distinction entre les deux extrémités de l’échiquier politique ; car si le propre du totalitarisme est toujours de prôner une forme de révolution et d’user des mêmes moyens pour l’imposer, il ne s’agit pourtant pas à chaque fois du même contenu de départ : le communisme prône l’égalité de tous (au risque, certes, de la confondre avec l’identité), il vise donc à libérer tous les hommes : par conséquent, « il faut lui reconnaître la grandeur de l’intention » ; le fascisme au contraire n’a jamais vraiment « rêvé de libérer tout l’homme, mais d’en libérer quelques uns en subjuguant les autres » (au risque d’engendrer l’inégalité).

* Seule une politique du jugement et la construction d’un vrai jugement politique peuvent donc nous préserver de l’enkystement dans un jugement extrémiste, voire totalitaire. En somme, la révolte maintient l’espoir de l’humanité de l’homme, veut maintenir la nature humaine, tandis que la révolution nie la nature humaine telle qu’elle est à présent pour la remplacer par une autre. La révolte indique une limite mais jamais une négation totale, comme dans le « tout ou rien », sinon elle se trahit dans la révolution : « la révolte aux prises avec l’histoire ajoute qu’au lieu de tuer et mourir pour produire un être que nous ne sommes pas, nous avons à vivre et faire vivre pour créer ce que nous sommes » conclue Camus.

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